Poète prends ton luth… et entre dans la lutte !
En ces temps troublés, la recherche de la paix est primordiale à mes yeux. Et selon moi, désirer et chercher à faire advenir un tant soit peu la paix dans le monde, c’est apprendre à la faire d’abord en soi, et se réconcilier avec soi-même. C’est de cette manière que le poète peut devenir une petite lumière éclairant ses semblables. Faites l’expérience de plonger une pièce dans le noir en ne laissant qu’une petite veilleuse : tous les regards se tournent vers la frêle flamme. Elle attire, non pour elle-même, mais parce qu’elle éclaire, unifie, réchauffe les cœurs, rassure, favorise la méditation, et nous tourne vers l’intériorité et l’infini à la fois.
Le poète, selon moi, ne doit pas se servir de l’écriture comme moyen thérapeutique pour exorciser ses démons ou ses états d’âme plus ou moins glauques, du moins lorsqu’il souhaite donner ses poèmes à lire. Si verbaliser sur le papier peut l’aider, il me semble qu’il ne doit proposer à la publication que les textes qui peuvent apporter du beau et du vrai à ses contemporains. Le reste a davantage sa place dans un journal intime. Le poète doit, selon moi, essayer de contribuer à élever ses semblables un peu au-dessus de la médiocrité ambiante, de toucher la corde sensible qui donnera à chacun, ne serait-ce que fugacement, le désir d’ouvrir ses ailes.
Le poète est celui qui « chante clair pour qu’il fasse clair », à l’image du coq d’Edmond Rostand qui croyait dur comme fer que s’il ne chantait pas le soleil ne se lèverait pas…
En poésie, le sens du beau doit primer, mais il ne suffit pas. Un poème doit être vrai : inciter à la quête de vérité, certes, mais avant tout sonner juste, transcrire fidèlement le ressenti de son auteur. C’est ainsi que le violon vibrera, en accord avec l’être intime du violoniste. Il existe des virtuoses accomplissant de prodigieux exercices de style, mais il existe également des musiciens qui ébranlent l’âme par l’émotion qui jaillit sous leur archer. Tel doit être le poète à mes yeux. Le poète est une personne de goût, mais également de sensibilité. C’est ainsi que la recherche esthétique, mêlée à la justesse du ressenti, rejoindra le lecteur dans ce qu’il a de plus intime, de plus humain, de plus vulnérable. Et fera vibrer la corde sensible.
Le poète, dont les capacités sensorielles sont exacerbées, perçoit le monde d’une façon toute particulière, sans tri préalable, et le retranscrit en images et en mots, selon une ligne musicale. Il perçoit, dirait Baudelaire, la quintessence des choses, à travers tel ou tel détail que personne n’avait remarqué, et que lui replace aussitôt dans la globalité, dans l’harmonie dysharmonique, ou la dysharmonie harmonieuse du cosmos. À travers le visible il saisit l’invisible.
Mais, à travers l’acte d’écriture, ce n’est pas lui-même que recherche le poète. Bien au contraire, l’acte poétique est une sortie de soi. Le vécu intérieur du poète jaillit sous l’effet d’un paysage, d’une parole, d’un stimulus quelconque, en un instant qui se fige, qui devient éternité, un véritable moment de communion avec l’harmonie universelle. Vient alors aussitôt le besoin impérieux pour le poète, immédiatement ou au souvenir de cet instant, de le fixer sur le papier, puis, dans un second temps seulement, de l’offrir au lecteur ou à l’auditeur.
Loin d’être un rêveur lointain et inaccessible, le poète jouit d’une exceptionnelle capacité de présence au monde et à l’instant, avec lesquels il résonne à l’unisson. En cela, il est à même d’aider les autres à voir la beauté du monde, même à travers sa laideur. Et ainsi les amener à croire au beau et au vrai. Inciter chacun à se donner à son tour selon son charisme propre. Le poète est celui qui apportera une vision neuve sur le monde, qui incitera les autres à sortir des sentiers trop empruntés. Celui qui les lancera à la conquête de l’infini.
Krystyna Umiastowska
France, qu’as-tu fait de tes génies ?
« Aujourd’hui, à 25 ans, espérant une vie un peu douce, Antoine a pris la résolution de couvrir son cerveau du suaire de la stupidité. Il n’avait que trop souvent constaté que l’intelligence est le mot qui désigne des sottises bien construites et joliment prononcées, qu’elle est si dévoyée qu’on a souvent plus avantage à être bête qu’intellectuel assermenté. L’intelligence rend malheureux, solitaire, pauvre, quand le déguisement de l’intelligence offre une immortalité de papier glacé et l’admiration de ceux qui croient en ce qu’ils lisent. »
(Martin Page, Comment je suis devenu stupide, Le Dilettante, 2000)
Qu’ajouter à cette citation d’un auteur qui a pourtant réussi à percer et à franchir la porte des éditeurs de littérature ?
À sa lecture, chacun de nous pourra voir se dessiner tel ou tel visage d’auteur contemporain à l’écriture « de papier glacé », élégante, mais vide, ayant fait son nom dans la littérature de relais H, voire ayant accédé à l’immortalité de la Coupole, tels ces animaux empaillés recouverts d’un globe pour mieux les préserver des flétrissures extérieures. Loin de moi l’idée de condamner aveuglément toute nomination en ce haut lieu, juste d’apporter un bémol aux choix parfois hasardeux qui s’y opèrent.
On nous vante ces auteurs comme les références de l’intelligence à la française, comme des champions du verbe, et que sais-je encore… Bien piètre époque qui semble avoir si peu de choix pour choisir ses hérauts, si on la compare à un XIXe siècle truffé de génies de toutes sortes, à un XVIIe siècle littéraire resplendissant, sans compter les ères précédentes.
Mais justement, les génies de notre époque, où sont-ils ? N’existent-ils plus ? N’ont-ils pas plutôt simplement, avant même d’être reconnus, revêtu le masque de la bêtise et de la transparence, afin de dissimuler leur talent qui, non seulement les rend différents, mais ne leur assure aucune reconnaissance en leur interdisant l’accès à la grande édition ? La bêtise est si répandue à l’heure actuelle, y compris dans la sphère politique la plus haute (et peut-être d’ailleurs l’a-t-elle toujours été), que le subterfuge est efficace : quel meilleur moyen de se fondre dans la masse ? Auraient-ils compris que la grande édition n’a aucun intérêt à ce que ces surdoués de la littérature, de la poésie, de la philosophie, du théâtre, rencontrent leur public ? Mais eux peuvent-ils vivre tranquilles ainsi, niant leur être profond, et le monde peut-il se passer d’eux sans vivre atrophié et déboussolé ?
Il arrive que l’on désigne certains philosophes à initiales, certains littérateurs au sourire lifté, comme les membres d’une certaine intelligentsia française. Quand on songe à ce que fut la véritable intelligentsia, ces êtres à l’intelligence constamment en éveil, à la sensibilité exacerbée, à la naïveté désarmante couplée à une lucidité acérée, ces êtres curieux, créatifs et, avant tout, assoiffés de justice et de vérité, prêts à toutes les audaces et à tous les courages pour vivre en accord avec eux-mêmes et avec leur intelligence visionnaire du monde, comment peut-on dévoyer à ce point ce mot ?
France, où sont tes génies ? Il est grand temps de se poser la question. Il est grand temps de leur donner la parole. Il est temps de les laisser signer en lettres de noblesse.
Intervenant dans la polémique de la réforme de l’orthographe, qui pourrait sembler puérile au regard de la violence de l’actualité depuis quelques mois, Jean d’Ormesson se justifie en ces mots de ses prises de position passées : « À l’époque, j’étais plutôt favorable à cette tendance réformatrice. Parce qu’il y a vingt-cinq ans, les gens n’étaient pas malheureux comme aujourd’hui, et le pays dans cet état. »
D’accord, mais si le pays est dans cet état, c’est peut-être qu’il eût fallu redresser la barre en temps voulu, au lieu de se laisser voguer au gré des vents… Elle ne sert donc pas à cela, l’Académie française, à promouvoir le verbe afin d’éviter que l’on ne tombe en Barbarie ? J’en appelle aux poètes et aux écrivains : faisons luire la force du verbe au milieu de l’obscurité.
Krystyna Umiastowska
Krystyna Umiastowska