Mes chevaux de bois
- Par Krystyna Saurel
- Le 10/05/2021
Mes chevaux de bois
Comment ça,
Ca ne quitte jamais le manège,
Un cheval de bois ?
Et qu’en savez-vous, s’il-vous-plaît,
Monsieur le Sermonneur ?
Savez-vous ce qu’il fait, la nuit,
Tandis que vous dormez ?
Car, avouez-le, il vous arrive encore
De dormir, non ?
Et même de rêver, avouez…
Alors donnez-moi la preuve,
La preuve flagrante,
La preuve formelle,
La preuve absolue,
Oui, la preuve des preuves,
Que ces chevaux-là
Restent vissés
Sur leur socle de fer,
Mes beaux chevaux de bois,
Mes doux chevaux à moi…
Comment ça, on ne peut plonger
Dans un dessin au sol,
Dans un tableau de craie,
Et le faire exister ?
Avez-vous déjà essayé ?
Oui ? Eh bien, Monsieur l’Ergoteur,
C’est que ce tableau-là,
Il n’était pas très vrai,
Et pas bien dessiné,
Tracé avec la tête
Et pas avec le cœur.
Comment ça,
Vous n’avez jamais pris
Le thé sous le plafond ?
Mais d’où sortez-vous donc,
Monsieur l’Extra-terrestre ?
Ah, non, ça ne marche pas
Avec le chocolat
La bière ou la vodka.
Car, voyez-vous,
Monsieur le Sceptique,
Il faut du thé,
Du thé de chez Tiffany,
De Rivoli ou de Bombay.
Pas du Lipton,
J’ai dit : du thé !
Et si malgré cela,
Vous n’atteignez jamais
Le lustre du plafond,
Eh bien, voyez-vous,
Monsieur le Raisonneur,
Le Scientifique, le Penseur,
C’est simplement alors
Que vous ne savez plus rire.
Eh non, vous ne riez plus
A gorge déployée.
Vous riez raisonné,
Vous riez cynique,
Vous riez sous cape,
Vous riez jaune ou noir,
Vous riez Dalton,
Vous riez désabusé,
Vous riez au nez,
Vous pincez le nez,
Vous pincez sans rire,
Mais vous ne riez pas.
Na !
Comment ça,
Des pingouins mignons,
Garçons de café de leur état,
Stylés, élégants, discrets, attentionnés,
Enjoués, guillerets, raffinés,
Dans un jardin anglais,
Sous une tonnelle fleurie,
Petit coin de paradis,
Loin du monde et de ses travers,
Loin du monde qui va de travers,
Loin du monde qui pense de travers,
Comment ça, comment ça,
Ce seraient des dessins animés ?
De vulgaires cartoons ?
Et vous osez proférer,
En me regardant dans les yeux,
De telles énormités ?
Rougissez, pauvre homme,
Rougissez !
Parce que vous croyez donc
Que tous ces moribonds
Déambulant dans les rues grises,
Accrochés à leur téléphone,
Et s’engouffrant dans le métro,
Ou au volant de leur auto,
Abonnés à Télérama,
Et à jour de leur redevance,
Pour y voir la réalité
Que l’on appelle la télé,
Vous croyez vraiment que ces gens
Sont faits de chair, de sang et d’os ?
Non, non, Monsieur, vous divaguez.
Il ne s’agit que d’un navet,
Et qui plus est en noir et blanc,
Qu’on déroule devant vos yeux.
Moi, mes jolis pingouins,
Je les vois sans lunettes,
Voyez-vous, Monsieur le Spectateur ?
Non, vous ne voyez pas.
Vous ne voyez pas mon jardin à moi,
Mon jardin plein de pingouins
De lapins pressés,
De compagnies de lapins bleus,
De Dames de cœur,
D’épouvantails sans cervelle
Mais au grand cœur,
Non, vous ne le voyez pas,
Monsieur de la Société.
Mon jardin anglais,
Mon jardin secret...
Là où l’on ne peut venir
Qu’en rêve,
Là où ne vivent
Que les rêves,
Là où les images sont vraies,
Là où je cache mes mots,
Là où je cache mes vers,
Là où je cache mes rimes,
Là où je cache mes pensées.
Là où l’on parle ma langue,
Mon langage secret,
Celui que je comprends,
Là où les autres mots sont creux.
Là où nul ne peut entrer
Sans y être invité.
Là où j’invite
Ceux qui me sont chers.
Alors, Monsieur le Suborneur,
Mes images,
Mes chevaux de bois,
Mes ramoneurs,
Gardant le rythme
Et la métrique,
Laissez-les moi,
Je vous en prie.
Je n’ai que ça.
Laissez-les moi,
J’vous en supplie.
Car il en va
De ma survie.
Moi, mon jardin,
Il existe bien.
Et mon langage,
Je le comprends
Quand tous les autres
Parlent une langue inconnue,
Respectant des règles étranges,
Accomplissant des rites
Qui me restent étrangers.
Mon langage ne parle pas de guerre,
Il ne parle pas de calculs,
Il ne parle pas de politique,
Il ne parle pas de ballon rond,
Et n’aime pas les jugements.
Du moins je l’espère.
Mon langage parle en images.
Mes images.
Laissez-les moi,
Et ôtez vos pattes de là.
Plongez dans le tableau,
Si vous le voulez.
Mais si vous n’y croyez pas,
Vous ferez un plat,
Vous resterez sur le pas.
Do ré mi fa sol,
Mes vers s’envolent,
Libres ou pas.
Laissez-les moi.